Le monde merveilleux du jeu d'apprentissage
Cet épisode explore le monde merveilleux du jeu d’apprentissage. Si vous souhaitez initier ou transformer des parties de vos activités d’apprentissage en jeu, cet épisode est pour vous. Pour explorer ce nouveau monde, j’accueille Hugues Dargagnon qui est un homme sérieux, il passe son temps à jouer. Il créé des jeux depuis plus de 10 ans et a contribué à la création du Master « GAME » de l’université Champollion de Albi. Aujourd’hui, Hugues forme les formateurs à l’élaboration de jeux d’apprentissage. J’accueille également Philippe Lépinard qui est maître de conférence et directeur délégué à la transformation pédagogique de l’université de Paris-Est Créteil. Je vous recommande son site, Eduteam, une mine d’informations sur la ludopédagogie. Philippe fait partie d’un groupe de recherche sur l’intégration du serious gaming dans la formation. |
Cet épisode explore le monde merveilleux du jeu d’apprentissage. Si vous souhaitez initier ou transformer des parties de vos activités d’apprentissage en jeu, cet épisode est pour vous.
Nous abordons
Les techniques de ludification des apprentissages. Jeu sérieux et intention pédagogique Peut-on tout apprendre avec le jeu ? Comment apprend-on avec le jeu ? L'objectif d'apprentissage Les 6 critères d'un jeu et la méthode inductive Les évaluations du jeu Le jeu et l'inclusion Le formateur, la méthode et le jeu |
Les techniques ludopédagogiques.
FrédériqueBertelet : Philippe, tu as publié un article sur Les 9 techniques ludopédagogiques. Peux-tu nous expliquer ce que veut dire « Ludifier les apprentissages » et nous donner un exemple ?
Philippe Lépinard
Ludifier les apprentissages, pour moi, ça relève de 9 techniques, comme tu l’as dit. Il en existe pour l’instant 9, on en a pas identifié de supplémentaires cette recherche méthode ludopédagogique date maintenant de 2019, où l’on a présenté notre article et ce travail. Je dis nous car nous sommes une équipe au travers du projet Eduteam : des enseignants de langue, des enseignants de management, des enseignants de Français langue étrangère. On s’est rendu compte que l’on parlait beaucoup de serious game, dans le travail que l’on a mené, le serious game n’est qu’une des méthodes ludo-pédagogiques.
L’exemple le plus flagrant du serious game c’est l’outil, le logiciel ou pas d’ailleurs, il peut être physique qui permet de répondre à une problématique pédagogique préexistante. On fait un outil pour répondre à un problème pédagogique. Les huit autres techniques sont tout aussi passionnantes je dirais même que celle dans laquelle on travaille c’est le serious Gaming, c’est à dire le détournement des jeux de loisir existants. C’est un petit peu le contre pied du serious game puisque là c’est le jeu qui préexiste à la problématique pédagogique. Le travail de recherche du projet Eduteam se concentre spécifiquement sur ce détournement des jeux.
Le jeu sérieux et l'intention pédagogique
FB : Hugues pour toi qu’est-ce qu’un jeu sérieux ?
Hugues Dargagnon : Qu’est-ce qui fait un jeu sérieux ? Je pense que déjà ce qui fait un jeux sérieux, c’est l’intention d’un pédagogue. L’outil en lui même est important, les règles qui vont y être accolées vont être importantes aussi. Je pense que l’intention pédagogique, c’est à dire de pouvoir, comme disait Philippe, transformer un jeu pour pouvoir en faire une activité pédagogique, ce travail là reste du domaine de l’intention pédagogique.
Un exemple : nous dans nos ateliers, on travaille beaucoup autour de la re-fabrication de jeux pédagogiques à partir de jeux existants, réels, souvent ce sont des boites de jeux que l’on retrouve chez nos marchands de jeux que l’on aime et que l’on adore.
Dans cet exemple là, j’avais proposé d’utiliser différents matériels ludiques qui existent déjà autour d’un objectif pédagogique que le groupe aurait pu concevoir et créer. Par la suite, ils ont utilisé des jeux du type Colors, Duolingo, du type jeu de cartes pour créer un jeu des 7 familles autour des compétences nécessaires sur une formation donnée. On était vraiment dans le système de détournement et moi je n’ai eu qu’à impulser l’envie de créer un outil pédagogique à partir de jeu. Les stagiaires ont pu réaliser cet atelier.
Peut-on tout apprendre avec le jeu ?
Hugues : Oui, je pense, tout peut s’apprendre par le jeu et d’ailleurs tout s’apprend par le jeu depuis notre naissance.
Philippe : Effectivement dans nos travaux de recherche avec Eduteam, on s’attèle quand même à certaines matières et certaines disciplines universitaires. On fait la différence entre les savoirs primaires et les savoirs secondaires. Les savoirs secondaires, Savoirs primaires, comme l’a dit très justement Hugues, on peut apprendre à vivre ! Pour au travers du jeu, c’est ce que l’on fait lorsque l’on est petit, tout passe par le jeu, avant l’école. Ensuite dans un cadre universitaire, on est plutôt sur des savoirs secondaires, c’est à dire des savoirs qui ne peuvent pas s’apprendre de manière intuitive. Là, je ne dirai pas qu’on peut tout apprendre par le jeu mais en tout cas dans les enseignements que nous avons mis en oeuvre : gestion de projet, management, anglais, français langue étrangère et gestion de projet de système d’informations, on a réussi à démontrer - et c’est très récent puisque les articles sont en cours d’écriture - on a réussi à démontrer qu’il y avait acquisition de connaissances. Petite précision : on fait la distinction entre connaissance et compétence. Dans le projet Eduteam, on s’est attelé plutôt à des enseignements théoriques c’est à dire où il y avait un besoin d’acquisition de connaissances avant de pouvoir les mobiliser dans le cadre de compétences et d’activité plus intégratives. Dans les enseignements que l’on a mis en place, on a pas trouvé de limitation à l’usage du jeu.
Hugues : Pour rebondir sur ce que dit Philippe, effectivement si l’on décompose en savoir, savoir-faire et savoir-être, le savoir-faire et le savoir sont assez rapidement gamifiable. Les savoir-être - c’est là où apparaissent de nouvelles technologies comportementalistes - les savoir-être peuvent être structurés dans des jeux sans aucun problème.
Comment apprend-on avec le jeu ?
Philippe : ça été tout l’enjeux du projet Eduteam. Nous avons, à partir de l’apprentissage du cycle, de l’apprentissage expérientiel de Kolb, qui date des années 80, amendé ce cycle expérientiel pour ré-ingénieurer complètement les cours. Le jeu en lui même n’est pas simplement un outil que l’on va mettre dans un cours pendant 2 heures ou une demi-journée, mais il va être l’épine dorsale du cours complet. Chaque demi journée de cours devient alors un cycle de l’apprentissage expérientiel avec un briefing, un temps de jeu et un débriefing sachant que les trois ont à peu près des temps égaux. Toute la richesse vient du débriefing où la connaissance va être apportée de manière inductive. C’est à dire que les étudiants, les apprenants vont jouer sans forcément savoir sur quoi ils sont observés. Quelle est la thématique précise du scénario du jeu. Ce n’est qu’à la fin, en discussion, en débriefing, pendant les temps de remédiation, faire conscientiser ce savoir. Bien sur les apprenants n’auront pas les bon termes mais ils sauront ce qu’il s’est passé, ils sauront expliquer ce qui a marché, ce qui n’a pas marché. A partir de là, l’enseignant va éclairer ce qui s’est bien passé ou mal passé par la connaissance théorique. Ils l’auront vécu et donc la rétention sera supérieure, d’autant plus que la séance d’après, on continue à jouer, on continue ces temps expérientiels. Finalement les étudiants ou les apprenants en formation continue, vont pouvoir remobiliser ces savoirs qu’ils ont découverts quasiment par eux-même les fois précédentes. On est clairement dans le vrai essai-erreur, on peut se planter on aura une deuxième ou une troisième chance dans un temps de manageur par exemple. Il y a derrière le jeu un agencement, une structuration didactique et pédagogique extrêmement sophistiqué. Attention je ne dis pas complexe. Je dis sophistiqué où il y a des temps bien précis, des activités bien précises à tel moment ou à tel moment qui font que l’on a réussi à prouver qu’il y avait apprentissage. Tout cela est écrit dans nos textes de Eduteam. C’est un travail passionnant.
Hugues : je suis tout à fait d’accord avec Philippe dans cet aspect que l’activité qui est gamifiée est structurée à l’intérieur d’un petit parcours. Il y a un amont et il y a un post. La re-contextualisation par l’expert, le formateur ou l’enseignant chercheur est nécessaire pour ancrer l’expérience que l’on a pu vivre lors de la ou des parties jouées. Je me souviens à l’Université Champollion de Albi, on avait créé un jeu, pour les connaisseurs, de type Magic, un jeu de carte, comme une bataille qui permettait d’apprendre le vocabulaire français-anglais dans le monde du génie mécanique. Un vocabulaire qui tournait autour du boulon, de la machine outil et ce jeu par le dynamisme de ses règles et par le fait que l’on utilise à la fois des mots et des images, permettait d’ancrer le vocabulaire . Il y avait toujours une phase de re-contextualisation avec le formateur par la suite pour faire émerger les catégories de mots appris, comment relier ces catégories de mots. Il y avait tout un travail pour re-situer le mot dans son contexte professionnel. Il y avait un double apprentissage : le mot et le sens qu’il a dans le métier. Ça se fait sous l’impulsion de l’essai-erreur de la partie gagnée, de la partie perdue.
L’objectif d’apprentissage
FB : L’objectif d’apprentissage est-il présenté à l’apprenant ?
Hugues : il me semble que l’objectif pédagogique doit être clairement identifié et particulièrement les consignes à la fois pour atteindre cet objectif et pour jouer, pour être dans le jeu.
Philippe : Oui et non. Dans le cadre de notre projet, les objectifs globaux d’apprentissage sont connus par les étudiants. Les objectifs spécifiques de la session ne sont pas connus par les étudiants. C’est ce que j’appelle l’apport inductif de connaissances. On joue d’abord sans se soucier de ce qu'il va se passer. D'ailleurs les temps de jeux ne sont jamais évalués pour ne pas couper la dynamique des joueurs et donc l’authenticité de l’engagement des apprenants. Ils ne savent pas dans la séance même ce sur quoi ils sont observés, sur quoi ils vont discuter ensuite. Ils savent que c’est un cours de management, ils se doutent qu’on va parler de gestion de projet, d’anglais mais les connaissances spécifiques de la session, on en parlera après.
C’est justement cet éclairage post-jeu qui fait qu’on peut le relier à ce qui s’était passé. Comme il l’ont vécu de toutes leurs tripes, ils pourront plus facilement s’en souvenir après. Ça n’empêche pas le travail d’apprentissage en tant que tel. A l’université, il y a le lexique de la gestion de projet, le lexique du vocabulaire en anglais, la grammaire etc. Ça demande ensuite un travail à froid de l’apprenant de revenir sur ces concepts. Il les aura vécus une fois donc ce sera plus facile à acquérir.
D’ailleurs les preuves d’apprentissage que l’on a actuellement sont particulièrement importantes. Pour un cours de gestion de projet qui vient de se terminer là, un test d’évaluation diagnostic où tous les étudiants ont entre 3 et 4 de moyenne. Le même test passé à la fin du cours, dépasse les 16 de moyenne. Avoir plus de 16 de moyenne dans une classe, c’est hallucinant.
Hugues : C’est intéressant ce que tu disais Philippe au début de cette intervention sur le fait de cacher ou pas l’objectif pédagogique aux participants. Je me demandais si le public n’influençait pas aussi ce choix pédagogique. Je me souviens, en tant que concepteur pédagogique avec l’équipe, d’avoir crée un serious game design document. Nous avons crée une séance pédagogique qui tournait autour du tri des déchets sur les chantiers du BTP. C’était impossible de cacher l’objectif pédagogique puisqu’il était par essence, le but du jeu. Je me demandais si peut-être pour des jeux qui ont tendance à approcher plus l’aspect comportementaliste, n’est-ce pas plus évident quel est l’objectif ? Quand tu travailles sur des choses moins comportementalistes, comme peut être du management où ce sont plus les connaissances et compétences qui sont étudiées, peut être que l’objectif étant moins évident, on peut travailler plus par la suite, sur la conceptualisation de cet objectif en session après jeu.
Philippe : Oui tu as raison, pour certains cours, il y a un apport déductif en amont. Notamment par exemple, le cours gestion de projet en système d’information, je présente ce qu’est une ERP ou PGI (NDLR en français pour Progiciel de Gestion Intégré) puisqu’ils vont devoir travailler sur un progiciel de gestion intégré, un petit peu en amont, je leur donne les clés minimales pour pouvoir s’engager dans l’activité ludique ensuite. Il y a une partie déductive mais la majeure partie est inductive.
Le public certainement et aussi le type de jeu permettent de le faire et d’autre non (NDLR : présenter l’objectif de la séance ou pas).
Les 6 critères d'un jeu et la méthode inductive
Philippe Nous avons identifié 6 critères que les jeux doivent avoir pour permettre cette capacité d’apports inductifs et de libertés d’action dans le jeu.
Ces 6 critères sont :
La décontextualisation : nous avons faire l’hypothèse qu’il était plus intéressant d’immerger les étudiants dans des mondes qu’ils ne connaissent pas. Au lieu de faire un business game dans une entreprise, ils vont déplacer des héros Marvel.
La liberté d’action : il faut que les étudiants aient beaucoup de libertés d’action (que ce soit dans un cours de d’anglais, de management, ou de gestion de projet).
la transparence des conséquences : beaucoup de jeux vidéos ne sont pas pertinents puisque les étudiants ne comprennent pas pourquoi il y a telle conséquence de leur action.
Le découplage : c’est la différence entre un serious game qui a une courbe d’apprentissage identique à la courbe de progression dans le jeu. Nous, ce n’est pas du tout le cas, quand on utilise des jeux du commerce. Une équipe peut tout à fait perdre la partie du jeu et pourtant mettre en place de très belles actions managériales, parfaitement parler anglais etc. C’est ce découplage que nous avons mis en place.
La capacité à supporter plusieurs scénarios. Dans le projet Eduteam, si un jour on a envie de jouer dans Starwars au lieu de Marvel, en suivant ces 6 critères cela ne change pas la structure du cours. Cela permet chaque années de renouveler les jeux et de surprendre les apprenants.
La faisabilité matérielle : le côté budgétaire, à l’université. Pour les jeux, pas de problèmes de budget puisque l’on travaille par exemple avec Minetest, qui est un équivalent de Minecraft, open source et totalement gratuit. Quand on l’utilise avec des jeux, finalement c’est pas si cher que ça. Par contre il y a des contraintes logistiques. Quand on veut, en cours d’anglais, mettre 50 étudiants autour d’un jeu de rôle Donjons et dragons, cela demande 5 salles de cours, ce qui n’est pas forcément facile à trouver. Il y a quand même des contraintes de faisabilité.
Le type de jeu
Philippe : Le type de jeu est vraiment important. La matière aussi est importante, c’est du management, de la gestion ou du cours d’anglais. C’est de la connaissance théorique mais qui peut s’acquérir en vivant une expérience managériale collective. Ce qui n’est pas forcément le cas, comme a dit Hugues tout à l’heure, pour le tri des déchets. Parfois, nous ne les transformons pas les cours avec le projet Eduteam car cela ne peut pas fonctionner ou nous n’avons pas trouvé les bons jeux qui permettraient de la faire.
Les évaluations du jeu
Hugues: Dans le cas présent du jeu du tri des déchets sur les chantiers, c’était une formation évaluée à 1 semaine, 35 heures en présentiel. Il y avait la partie théorie, reconnaissance, bien savoir trier, évaluer. Si on triait mal comment on s’occupait du protocole etc. Je dirais que entre 4 à 5 heures de temps de jeu concret, c’est à dire hors débriefing etc. Les évaluations en fin de cette séquence de 35h étaient parfaitement ce qui était attendu dans les objectifs pédagogiques et dans les évaluations. C’est à dire en grossissant le trait, on avait pu passer de 35h de formation à une dizaine et en plus, par le jeu. Quelque chose qui était assez descendant à quelque chose qui était devenu très interactif et très pédagogique active.
Philippe : De notre côté, le projet Eduteam a débuté en 2016, cela fait 6 ans que l’on travaille dessus et c’est depuis 2 ans que l’on a vraiment mesuré les acquis d’apprentissage. Les premières années étaient des années de tâtonnements où l'on s’est cherché, on a identifié les types de jeu. On a évalué, dès le début, les formations avec le modèle d’évaluation des formations de Kirkpatrick, un ouvrage de 2016 qui reprend plusieurs critères pour évaluer une formation. Nous nous sommes arrêtés aux 2 premiers : c’est à dire les critères autour de la réaction. Ce qu’on fait généralement pour évaluer qualitativement une formation. La deuxième c’est l’apprentissage, toujours en autoévaluation par les étudiants et les apprenants. On sentait que les résultats étaient particulièrement forts. Non seulement, ils étaient satisfaits et impliqués mais aussi qu’ils avaient l’impression réellement d’apprendre des connaissances et de monter en compétence.
Ce n’est qu’à partir de 2020, qu’on a réitéré l’ensemble de nos cours avec un travail de vérification d’acquisition des connaissances. Les résultats sont vraiment très bons. Ils nous ont surpris sur les résultats qu’ont les étudiants avec des tests diagnostics puis de contrôles.
Les proto-compétences
Au-delà de cela, puisqu’on travaille sur la connaissance, mais on voit qu’il y a clairement durant les temps de jeu, la mobilisation de proto-compétences. On ne travaille pas sur la compétence, on est plutôt sur les connaissances mais on assiste quand même à des étudiants qui mettent en œuvre des proto-compétences sans qu’ils aient eu des cours spécifiques sur ces compétences.
Et puis de manière encore plus intéressante, mais non mesurée pour l’instant, ce sera l’étape prochaine du projet Eduteam, dans des activités d’évaluation intégratives comme un hackaton, un business game ou autre où il y a besoin de mobiliser un ensemble de connaissances et de compétences issues de plusieurs enseignements et disciplines, on s’est rendu compte que des étudiants qui avaient suivi les cours de management ou de gestion de projet de la manière que l’équipe projet Eduteam avait imaginé arrivaient à mobiliser des compétences managériales dans des activités autres qui n’étaient pas prévues. C’est réellement du transfert de connaissances je n’ose pas dire de compétences car nous ne travaillons pas là dessus. Mais nous avons une bonne intuition de réussite du transfert. En tout cas le transfert de connaissances est acté maintenant avec les résultats des 2 dernières années.
Les proto-compétences sont des compétences qui demandent à être développées dans le cadre d’autres formations. On peut se rendre compte qu’un étudiant développe des proto-compétences managériales au delà des connaissances théoriques ; il commence réellement à animer son équipe en mobilisant notamment des connaissances mais il n’a pas encore reçu de formation sur le sujet. Pour passer de la proto-compétence à la compétence, cela demande un accompagnement. Ce n’est pas forcément une formation classique. C’est peut être du mentorat, du coaching etc. Mais de la proto-compétence à la compétence, il y a un clic supplémentaire d’accompagnement, quelqu’il soit. Voir que des apprenants ayant suivi un cours uniquement théorique au travers du jeu, sont déjà capables d’activer des pré-compétences est une belle réussite.
Y a-t-il un profil de joueur ?
Hugues : cela dépend de l’acculturation que les uns et les autres vont avoir avec le jeu. C’est une part importante dans la motivation. Motiver un participant à rentrer dans le jeu, je m’appuis personnellement sur les travaux, en autres, de Richard Bartle et de ceux qui ont continué son aventure. Les travaux successifs ont pu déceler 4 types de profil de joueurs. Il y a d’autres travaux qui peuvent en donner 8 ou 10. Je me fixe sur les 4 principaux que je perçois comme principaux : le joueur social, le joueur explorateur, le joueur gagnant et (NDLR : le collectionneur). A chacun de ces profils, il y a des leviers motivationnels sur lesquels on peut s’appuyer. Leviers qui peuvent être sous la forme de feedbacks, d’éléments de stimuli, de compréhension qui vont faire comprendre au joueur qu’il dans une bonne action ou comportement dans le jeu ou dans un mauvais comportement dans le jeu, sous la forme de type de récompenses spéciaux, de communications spécifiques que certains joueurs peuvent avoir avec d’autres. Ce sont des leviers motivationnels sur lesquels on peut s’appuyer.
Le jeu et l’inclusion
FB: Je me demandais si tout le monde avait un profil joueur ou est-ce qu’il y a des personnalités qui ne se prêtent pas du tout ou jeu ? Philippe tu as publié un article sur la ludo-pédagogique comme facteur d’inclusion. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ce sujet ?.
Philippe : Sur les centaines d’étudiants, (j’ai arrêté de compter passé les 500), je n’ai rencontré qu’une seule opposition au jeu, une étudiante en Erasmus, qui venait pour un cours d’anglais et n’en avait jamais fait. Hormis ce cas qui à mon avis n’est pas lié au jeu, je n’ai rencontré aucune opposition au jeu. Bien entendu, comme le dit Hugues, certains sont plus sensibles que d’autres. Aucune opposition réelle au jeu que ce soit pour les étudiants plutôt jeunes L1, L2 (en Licence) plus anciens : (Master1, Master2), de même niveau mais en apprentissage et surtout en formation continue. On essaye de réitérer ce cours avec des adultes soit en reprise d’études ou soit en expérimentation, en les invitant.
Il ne faut pas non plus qu’on se mette une balle dans le pied. Même si on a quelques étudiants, apprenants qui ne s’intéressent pas au jeu ou à la formation à cause du jeu ; on embarque quand même beaucoup plus de gens que dans une formation descendante. On inverse clairement la courbe où dans un amphi 80 % s’ennuient et 20 % vivent le cours. Là on inverse la courbe. Aujourd’hui avec l’acceptabilité sociale du jeu cette question est dépassée.
L’inclusion n’est pas due au jeu mais à la méthode ludo-pédagogique mise en œuvre qui est celle des cycles d’apprentissage expérientiels expliquée précédemment par demi journée. Chaque étudiant peut prendre dans une demi-journée ou dans le cours, une, deux voire trois fois le rôle de manager, chef de projet, maître du jeu. Je me suis rendu compte que surtout chez les étudiantes de Master de quatrième et cinquième années, certaines étudiantes n’ont jamais pris le rôle de Manager ou de chef de projet dans une activité globalement bienveillante, scolaire. Il y a toujours les mâles alpha qui prennent les rôles de chef de projet. Celles et ceux, car il y a aussi des hommes qui ne veulent pas, sont bien contents aussi puisqu’il y a toujours la même personne qui est volontaire. Mais dans une formation Management, c’est troublant car toutes et tous devront sortir avec des compétences de Management. Donc le fait de proposer ces cycles expérientiels permettent aux étudiantes et aux étudiants de prendre le rôle dans un environnement non évalué. Puisque le temps de jeu n’est pas évalué du tout. Pas de notes, rien du tout. Comme, en plus, c’est décontextualisé, ils jouent avec des figurines Marvel sans se soucier de ce qu’il se passe. On leur demande de jouer.
Pour revenir sur le début de ma réponse et ce qu’à dit Hugues, ce qui pose problème parfois, ce n’est pas le jeu mais l’exposition. Quelle que soit la pédagogie active ou expérientielle qu’on aurait proposé, jeu ou pas, ce sont souvent les mêmes personnes qui sont un peu en retrait car ils n’osent pas s’exposer. C’est une des raisons pour laquelle j’ai complètement arrêté les jeux type Ice breaker, c’est fini, pour éviter de mettre des gens mal à l’aise. Peut être que je le faisais très mal et d’autres le font très bien. J’ai totalement supprimé pour rentrer dans le vif du sujet avec des jeux, bien entendu, mais pas dans le cadre d’une exposition on l’on retrouve dans certains cas un refus des pédagogies actives.
Hugues : personnellement, moi non plus je n’ai jamais rencontré de participants, plutôt public adultes, de toutes les tranches d’âges de 18 à 60 ans, je n’ai jamais rencontré de personnes complètement opposées là où je les embarquais dans le jeu. J’ai pu rencontrer par contre des gens qui n’aimaient pas trop jouer et qui préféraient les créer. Ce profil de personnes qui n’appréciaient pas de se retrouver autour d’une table et de jouer à un jeu de société mais qui étaient dans le plaisir, l’intérêt de construire des règles, un univers, des composantes, un objectif pédagogique attaché. C’est assez surprenant pour moi en tout cas.
Tout formateur peut-il créer un jeu pédagogique ?
Hugues : c’est la même question que de savoir est-ce que tous les formateurs peuvent utiliser Power-point, peut-être ?
Philippe : je suis complètement d’accord avec Hugues.
Y a-t-il une méthode pour concevoir un jeu ?
Hugues : Je pense qu’il y a des méthodes. Il y a autant de méthodes que de gens qui pourraient vous apprendre ou vous former à ça. J’en reviens à l’intention pédagogique. Les méthodologies existent. Moi je suis plutôt aiguillé vers des gens comme Richard Bartle avec une méthodologie particulière. Je pense qu’ils y a des méthodologies.
FB : Peux-tu donner un exemple, Hugues d’une méthode particulière pour un jeu simple?
Hugues : Appuyer sur le levier motivationnel de votre persona joueur au maximum si vous voulez créer un peu collaboratif, poussez les mécanismes sociaux à outrance.
Philippe : Hugues a rebondit sur l’intention pédagogique du début. Moi je rebondis sur les 9 techniques ludo-pédagogiques. Je suis d’accord avec ce que dit Hugues, pour moi contrairement à ce qu’on dit sur les apprenants que l’on a pas rencontré, il y a des collègues, des formateurs, des enseignants qui n’ont pas envie d’intégrer le jeu parce qu’ils sont très à l’aise avec Power-point, leur cours fonctionne très bien avec Power-point en revanche si des collègues ont envie de se lancer on constate quand même que pour déployer des jeux il faut quand même que l’enseignant ait un attrait, pas forcément qu’il soit un passionné de jeu mais un attrait aux pédagogies actives et que ensuite au travers des 9 techniques ludo-pédagogiques que l’on a identifiées, on peut trouver quelque chose.
Par exemple, un collègue qui a envie de mettre un jeu et qui ne sait pas comment le créer, il l’achète sur étagère, un serious game tout fait et cela devient une séquence pédagogique comme une autre. Ou généralement un serious game est plus ou moins auto porteur, il y a même parfois l’éditeur qui accompagne l’enseignant. S’il veut aller plus loin et d’ailleurs pour ce qu’à dit Hugues, l’apprentissage par la conception de jeu sérieux est une des techniques ludo-pédagogiques qui permet à l’enseignant de faire concevoir les jeux en amenant quelques boites de jeux exemples. Finalement, il n’y a pas tant de jeux, ce n’est que la conception, on essaye de jouer avec, mais pas forcément. Effectivement dans les techniques que l’on a identifiées tout le monde peut trouver son intérêt et intégrer du jeu sans forcément être lui même un passionné de jeu. En revanche pour ce qui est de l’activité propre à Eduteam où l’on amène des jeux du commerce, on les dépiaute, on modifie les règles, les collègues participants à ce projet ont un intérêt fort au jeu.