Neurosciences, une machine extraordinaire
Rendez-vous avec notre cerveau, sur le pont Saint Pierre de Toulouse. Karine Bressand, docteure en neurosciences nous transmet sa passion pour la machine extraordinaire. Elle nous révèle les piliers de l'apprentissage. Et les leviers à privilégier par le formateur. |
Nous abordons
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Le pont Saint Pierre de Toulouse et les chemins du cerveau
Le secret des apprentissages, la neuroplasticité
Karine Bressand :
Les neurosciences sont toutes les sciences qui étudient le système nerveux. C'est le cerveau mais aussi les nerfs, tout le système raccordé au cerveau ; de l’échelle moléculaire à une échelle macro avec l'imagerie et même les neurosciences computationnelles liées au système informatique
Quand on s’intéresse à tout ce qui est pédagogie, relation aux autres, toutes les interrelations qu'on peut avoir, on est plus dans les neurosciences cognitives qui s’intéressent plus aux fonctionnements de la pensée, de la réflexion, de la prise de décision etc.
Frédérique Bertelet :
En quoi s'intéresser aux neurosciences, c'est aussi s'intéresser à sa façon d'apprendre ? :
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Grâce à tous les progrès techniques, notamment l’imagerie cérébrale, aujourd'hui, on est capable de voir le cerveau en direct en train de fonctionner, ça nous permet d’entrer dans des mécanismes assez fin et notamment comment le cerveau apprend. On a pu comprendre le mécanisme fin de l’apprentissage et d’en déduire comment on peut faciliter, pourquoi il est bloqué...
Le mécanisme de base, physiologique est la plasticité synaptique. C'est à dire, la capacité qu’ont deux neurones qui sont les principales cellules du notre cerveau ; celles auxquelles on s’intéresse beaucoup qui vont avoir la capacité de renforcer leur lien. Comme là nous on se parle et si on se parle tous les jours, on renforce un lien et finalement on se connaît donc on a plus de facilité à communiquer ensemble. C’est un peu pareil pour les neurones grâce à cette plasticité synaptique.
Ensuite on a la neuroplasticité ou plasticité cérébrale, qui fait que à plus grande échelle des groupes de neurones peuvent former des connexions ensemble, les défaire. On peut moduler des ensembles neuronaux . C’est ce qui fait qu’on peut apprendre, évoluer, s’adapter en permanence.
C’est un phénomène qui se déroule tout au long de la vie, de la naissance jusqu’à la fin de la vie. On peut moduler les connexions de son cerveau.
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Plus on apprend et plus on sait apprendre ?
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Ça c’est un peu ça car le cerveau de manière générale, plus on l’utilise et mieux il fonctionne. Effectivement, plus on apprend plus on entretient cette capacité de neuroplasticité et plus on est à même d’apprendre plus facilement, c’est un cercle vertueux.
Les piliers de l’apprentissage et les leviers du formateur
Karine Bressand :
L'apprentissage, ça demande un effort. J’aime bien la métaphore des chemins. C’est tracer des chemins dans son cerveau.
On a pu mettre en évidence des piliers, des incontournables pour apprendre. Notamment il y a Stanislas Dehaene qui en a défini quatre.
L’attention : sans attention on ne peut pas apprendre.
L’engagement actif : le cerveau doit être en route, en train de travailler pour apprendre.
Le retour d’information : quand j’apprends, je dois avoir un retour. Et-ce que j’ai compris, est-ce que j’ai appris ? Où j’en suis ? Ça nous parle beaucoup du rapport à l’erreur. L'erreur est une grande source d’apprentissage.
Le dernier pilier définit par Stanislas Dehaene c’est la consolidation, la mémorisation.
Mon chemin je ne l’emprunte pas qu’une seule fois, je l’ai tracé profondément. J’ai ancré un apprentissage dans mon cerveau.
Moi je ne m’arrête pas là. J’aime bien ajouter les émotions qui sont absolument parties prenantes des apprentissages. Comment elles peuvent les faciliter ou au contraire bloquer les apprentissages.
Un dernier pilier est le mouvement dont on tient pas forcément compte.
Traditionnellement on est plutôt assis pour apprendre alors que le mouvement va pouvoir participer aussi de l'apprentissage.
Ça nous fait six piliers. Et qui dit pilier dit finalement levier sur lequel on va pouvoir appuyer pour faciliter les apprentissages
Frédérique Bertelet :
Pour les formateurs qui nous écoutent, comment peuvent-ils exploiter ces leviers ? Dans une formation comment on intègre chacun de ses leviers ? Pour tenter d’utiliser les six leviers, parce que c’est la meilleure façon de faire j’imagine que ce sera d’utiliser ces six leviers.
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Oui, c’est tout à fait ça. L’idée est dans le fait de varier suffisamment, et surtout d’aller appuyer sur tous les leviers. Alors pas d’un coup mais d’être sûr au niveau de la conception, de se dire est-ce que j’ai bien les choses qui vont capter l’attention au bon moment ? Par exemple quand je change de thématique, à un moment où il faut que les apprenants se remobilisent ou ils sont démobilisés, est-ce que j’ai bien les outils qu’il faut pour les remobiliser ?
Est-ce que j’ai tenu compte de tout ces piliers là ?
Le retour d’information ? Ça veut dire est-ce que j’ai bien les bonnes modalités d’évaluation ? Par ce que pour l’évaluation pour apprendre la première chose c’est de se dire où j’en suis ? On en fait quelque chose de plus formel mais pour le cerveau il a juste besoin de savoir où j’en suis. Est-ce que j’ai bien calé mes évaluations ? Qu’elles soient adaptées pour aller valider les concepts important de la formation ? C’est toutes ces questions à se poser lors de la conception de la formation. Est-ce que j’ai mis un peu de mouvement ou est-ce que mes apprenants vont rester assis tout le temps de la formation ?
Est-ce qu’ils sont dans l’état émotionnel compatible avec un apprentissage ou pas ?
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Difficile à savoir
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Ça c’est pas évident mais c'est intéressant d’y penser . Est-ce que au début, je fais, tu sais là, la petite météo ou pas ? Ça donne un peu l’idée. C’est pas que tout le monde raconte sa vie ou ses problème mais c’est de pouvoir se dire que tient peut être que cet apprenant là avec ce qu’il a dit, il est peut être pas tout à fait dans les bonnes conditions. Je vais peut être lui proposer, lui demander s’il a besoin de quelque chose en particulier. D’être conscient que ça peut interagir et donc d’avoir des outils régulièrement pour prendre un peu la température.
C’est pareil pour tout ce qui est évaluation. Dans les temps courts on a pas trop le choix. Se dire est-ce que les apprenants se sentent en capacité ou est-ce qu'ils se sentent-ils encore un peu fragiles dans leurs apprentissage et donc il y a une peur de l’évaluation et du coup ce n’est pas le bon moment. La peur fait qu’ils ne vont pas donner le meilleur de ce qu’ils peuvent. Comment on peut intégrer les émotions en passant par une interrogation des apprenants car ça ne se voit pas au premier abord.
En amont, se poser la question « est ce que j’ai bien pris en compte tous les piliers ou pas ? »
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Les prendre en compte et savoir aussi quelles sont les petites techniques. Tu viens de donner pas mal d’exemples notamment avec les émotions, pour questionner au bon moment. Comment fait-on quand on a des formation courtes ? La formation à distance ?
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La formation à distance, on monte d’un cran car on a pas les apprenants sous la main. Il faut arriver à anticiper suffisamment, les séquences pour que ça puisse bien se passer. On peut imaginer de se faire questionner l’apprenant. Le mettre dans un dynamique, le rendre plus acteur. Régulièrement l’inviter à se poser la question, est-ce que je suis ok, pas ok, une sorte d’éducation à ce que l’apprenant ait une réflexion sur son apprentissage car on est pas en direct avec lui pour pouvoir valider ou pas tout cela.
C’est le plus difficile comme on a un grand sens de l’empathie en direct, il y a des choses qui passent. Mais quand on a pas l‘apprenant devant, c’est encore plus important de valider : est-ce que j’ai bien pensé à tout, est-ce que j’appuie bien sur tous les leviers est-ce que je permet à l’apprenant de vraiment mettre en route son cerveau, dans toutes ses dimensions, pour apprendre. C’est encore plus crucial.
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Donc la scénarisation pédagogique, on en revient à l’objectif de la formation et à sa scénarisation qu’il faut remodeler pour de la distance.
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Ça ne peut pas être identique en présentiel et à distance. Il faut repenser et encore plus s’assurer que l’on a bien tenu compte de toutes ces piliers parce que on ne peut pas improviser. En présentiel on peut à la limite improviser mais en distanciel cette partie là va être encore plus importante en amont.
Le mouvement et les pauses
Frédérique Bertelet :
On est sur un pont, il y a ceux qui courent, font un jogging, il y a ceux qui vont à l’école, il y a ceux qui vont au travail, ceux qui peinent à monter le pont, ceux qui regardent la nature puisqu’on est au dessus de la Garonne. Il y a un peu de nature à voir, c’est assez calme. Il y a ceux qui foncent pressés d’atteindre leur objectif. En tout cas tout le monde est actif, personne n’est passif sur ce pont ; tout cas tout le monde a une activité et la pratique à sa façon. Tout à l’heure tu parlais de la marche, j’imagine que c’est pareil si on fait du vélo. À l’ère de la formation à distance, on est beaucoup derrière son écran parfois beaucoup d’heures d’affilées, parfois sans faire de pause, sans se lever ce qui est complètement néfaste pour le corps. C’est ce que dit l’observatoire national de la santé et de l’activité physique. Quid de l’apprentissage et de l’activité physique ?
Karine Bressand :
Il y a deux éléments par rapport à l’activité physique. Il y a déjà l’aspect physiologique. Le cerveau et le corps sont interconnectés. Nos nerfs vont jusqu’au bout des doigts, jusqu’au bout des pieds. Ils fonctionnent l'un avec l'autre. Le fait de bouger va délier le corps et surtout va permettre au sang de mieux circuler. Donc d’oxygéner le cerveau, lui apporter de l’eau et tous les nutriments dont il a besoin dont le glucose qui est le carburant principal du cerveau. Physiologique ça va permettre d’apporter de quoi mieux fonctionner.
Ensuite ils sont interconnectés au niveau du corps mais pas que. Il y a une sorte de centre, un peu névralgique, un grand coordinateur qu’on appelle le cervelet qui est un petit bout du cerveau, à l’arrière du crâne. Il coordonne les mouvements et les pensées.
Le fait de bouger le corps fait bouger aussi sa manière de penser. Les grands philosophes grecs l’avait compris depuis longtemps puisqu’ils enseignaient en marchant. Justement pour faciliter cette réflexion. Cela amène à la fois cet effet physiologique et cet effet de distanciation et de facilitation de la pensée. Et aussi marcher, il a été montré que ça facilite la créativité. Elle intervient dans l‘apprentissage, si je suis bloqué comment je fais, comment je trouve ma manière d’appréhender l’apprentissage ?
Devant l’ordinateur c’est pire car souvent il n’y a pas de pause. Notre cerveau a absolument besoin d’un pause mais d’un vraie pause.
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Qu'est-ce c'est qu'une vraie pause ?
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Ce n’est pas je passe de mon écran d’ordinateur à mon écran de smartphone. Je lâche tout, je fais quelques pas, je vais boire un verre d’eau, j’ouvre la fenêtre, je respire.
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Il est toujours en fonctionnement le cerveau ? Il ne s'arrête jamais ?
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Le cerveau ne s’arrête jamais. Heureusement, car le jour où il s'arrête c'est que l'on est en mauvaise posture. Mais il a besoin de fonctionner sous différents modes. Le mode d’apprentissage est un mode concentré, on est focus sur quelque chose, on consomme pas mal d’énergie, le cerveau est un gros consommateur d’énergie. Il y a des moments, on a besoin qu’il fonctionne en mode automatique pour consommer moins d’énergie et pouvoir récupérer.
Et puis aussi, cela favorise un mode appelé diffus ou le cerveau fait des liens, des choses que l’on ne fait pas lorsqu’on est concentré. Ça va nous aider à aller chercher dans notre mémoire, faire du lien, être plus créatif.. On va favoriser un autre mode de fonctionnement du cerveau favorable à l’apprentissage.
La machine extraordinaire
Karine Bressand :
Tous ces piliers de l’apprentissage sont indispensables, ce sont des invariants.
Mais il faut aussi tenir compte, on le sait bien en tant que formateur, que chaque apprenant n’appréhende pas l’apprentissage de la même manière. Il y a cet aspect comportemental et chaque apprenant a des chemins différents dans son cerveau donc il ne va pas passer par les mêmes pour apprendre.
C’est important d’avoir cette notion de diversité des cerveaux. C’est l’approche comportementale qui nous permet d’avoir une idée de comment sont câblés les cerveaux de nos apprenants. Et là on marche sur des chemins en couleur et j’aime bien utiliser la méthode DISC et la relier à l’apprentissages. Il y a différents types d’apprenants qui ont des besoins différents et comment j’en tiens compte dans la conception de mon scénario pédagogique.
C’est ce qu’on a beaucoup développé avec ma collègue, Marie Legrand dans notre ouvrage, la deuxième édition vient de sortir « Apprendre à réussir, à chacun son chemin », on reboucle sur l’aspect marche pour tenir compte de cette diversité.
On peut conclure sur cet aspect de diversités que ce soit dans les modalités, les approches, mais aussi dans les façons de faire qui vont s’adapter plus ou moins à certains types d’ apprenants. La solution c'est de proposer une diversité au sein de sa formation pour que chaque apprenant, à un moment ou un autre, entre par la porte qu’il préfère.
C’est une histoire de préférence tout le monde peut apprendre mais quand on commence par ce qu’on préfère, on réussit mieux donc ça encourage et ça lance une boucle vertueuse. D’autant plus si on a des apprenants qui sont un peu bloqués, qui se disent moi je sais pas trop apprendre, je suis pas bon, qui ont un passif déjà avec l’apprentissage. Donc eux, si on rentre pas par la bonne porte, ils restent un peu coincés. La diversité est le mot .
Que l'on soit formateur ou qu'on soit enseignant, la première chose est d'être absolument convaincu que le cerveau est une machine extraordinaire, c'est une machine à apprendre et que tous les cerveaux peuvent apprendre. C’est une conviction grande à avoir. Si le formateur n’est pas convaincu, ce sera difficile de convaincre les apprenants.
Notre cerveau adore apprendre, de manière naturelle. Parfois il s’est bloqué, si on arrive à réouvrir la porte c’est fantastique.
Frédérique Bertelet :
Donc variété des tâches d’apprentissage et aussi ressources proposées aux apprenants pour effectuer leur tâches d'apprentissage ou consolider leur apprentissage.
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C’est là où la distance nous offre une possibilité de choix.
Par exemple dans la méthode DISC on a quatre grands types, on va pouvoir proposer les activités sous quatre formes et l’apprenant va avoir le choix. C’est plus facile car en présentiel on peut pas à chaque activité proposer quatre manières, c’est trop lourd. Mais en distanciel, l’apprenant va aller là ou ça l’attire, là où il se sent à l’aise et on va jouer sur le levier dont on pas parlé mais qui est primordial et qui vient avant tout qui est la motivation. S’il n’y a aucune motivation, on peut lever tous les leviers que l’on veut, ça ne va pas être très performant.
Ce choix va être important et aussi d’amener l’apprenant sur une réflexion appelée la métacognition sur « Comment j’apprends, comment j’aime apprendre » et c’est vrai que le distanciel nous le permet plus facilement.
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Merci Karine, pour cet entretien riche en informations. Tu as dit beaucoup de choses intéressantes pour les formateurs en présentiel ou à distance, à intégrer dans sa scénarisation pédagogique qui reste le nerf de la guerre pour le formateur. C’est à dire la préparation de l’animation de sa formation, des ressources. Et la prise en compte, le centrage de ce séquençage sur l’apprenant avec tout ce qu’on sait maintenant sur les façons d’apprendre.
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Merci beaucoup Frédérique pour cette proposition et cette petite balade sur le pont, très agréable.
Karine est docteure en neurosciences, auteure, coach, formatrice et conférencière. Elle a écrit ou contribué à différents livres autour des neurosciences. Son dernier ouvrage, co-écrit avec Marie Legrand parle de pédagogie, neurosciences, connaissance de soi pour des élèves heureux et à succès. Il est intitulé : « Apprendre à réussir, à chacun son chemin ! ».